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La fabrique des robots

Économie:


La fabrique des robots


(Source :  www.temoignagechretien.fr/)


par Elsa Fayner


Plus de 260 000 salariés travaillent dans des centres d'appels téléphoniques. Près de 0,8% de la population active. Et des conditions de travail plus que douteuses.Quelle est la différence entre une Box bleue à 29,99 € et une Box rouge à 29,99 € ? Aucune. Comment convaincre les clients de s’y abonner ? 

En proposant une hotline technique réactive, en apportant des propositions et des conseils personnalisés 24 h/24, bref en suscitant une relation de confiance suffisante pour influencer leurs choix.
C’est le travail d’employés d’un nouveau genre, victimes d’une nouvelle forme de mécanisation du travail inventée dans les call centers ou centres d’appels. 
Les entreprises qui travaillent sur des marchés de masse (téléphonie, fournisseurs d’accès internet, banques de détail, assurances, etc.) ont inventé la « relation clients », qu’il faut sans cesse entretenir.

 
On considère que l’acquisition d’un nouveau client coûte beaucoup plus cher que d’en garder un déjà acquis. Ce rapport peut aller de « 1 à 5 », peut-on ainsi lire dans un document de l’Institut des métiers de France Télécom,

« L’évolution des métiers des centres d’appels, en lien avec le développement du CRM (Gestion de la relation client) ». Il s’agit de connaître de mieux en mieux chaque client afin de lui fournir une réponse personnalisée et d’anticiper ses demandes.

Le tout à un moindre coût. 

Car un réseau d’agences coûte cher.
L’apparition et le développement des centres d’appels répondent à une double volonté:


- améliorer la satisfaction du client tout en réduisant les coûts.

Sondages :

 
Trois mille cinq cents centres d’appels ont été recensés en France en 2008. Ils fonctionnent pour des services après-vente, hotlines techniques, services de conseils et de renseignements. 

Ils servent à démarcher de nouveaux clients, proposer de nouvelles prestations aux anciens, mener des enquêtes, des sondages, etc.

Les employeurs sont principalement les télécoms, la banque assurance, les fournisseurs d’accès internes, l’énergie, les médias et l’édition.
La plupart de ces centres d’appels, 2 700 d’entre eux, sont internes aux entreprises dont ils vendent les produits ou services. 

Ils emploient 210 000 salariés et dégagent 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Tandis que 20 % des activités de relation client sont externalisées auprès de prestataires.

 

Dans ces cas-là, ce sont des sous-traitants comme Teleperformance, B2S, Acticall, etc., qui passent et reçoivent les appels pour SFR, Bouygues, Orange, CNC Assurances, ou autres. Cette solution revient moins cher aux entreprises. 

Le prix horaire en centre d’appels internalisé tourne autour de 55 € alors qu’il avoisine les 26 € en centre externalisé, selon l’Association française de la relation clients.


De manière générale, dans les centres d’appels, l’organigramme prend la forme d’une pyramide écrasée dans les centres externes par exemple, 88 % des salariés sont des employés et seulement 4 % des cadres. Rémunération mensuelle brute, en 2008 : 1 520 €, selon les chiffres du SP2C, le Syndicat des professionnels des centres de contact.

 

Le secteur a cependant fait des efforts pour fidéliser le personnel, et aujourd’hui, dans les trois quarts des cas, les contrats sont à durée indéterminée.

Mais ils n’ont pas l’air de convaincre totalement : l’ancienneté moyenne diminue, elle est passée de 3,7 ans en 2007 à 3,2 ans en 2008.


S’adapter :

 
L’originalité des centres d’appels se situe à deux niveaux. 
Tout d’abord, leurs responsables ne s’intéressent pas uniquement au temps de travail, à la répétition mécanique du script, cette conversation pré écrite qui défile à l’écran et qu’il faut lire sans rien oublier.

 
Ils s’occupent également de l’implication du salarié afin que ce dernier fasse un usage de son temps de travail et de ses compétences le plus efficacement possible. Il faut convaincre chaque client, savoir trouver les mots qui lui parlent, s’adapter, mettre le ton, ménager les silences, faire preuve d’inventivité… tout en restant dans les rails.


Cet usage du temps subjectif de travail qui préoccupe de plus en plus la direction doit en effet servir les objectifs de l’entreprise, analyse José Calderón dans son étude « Le travail face à la restructuration productive : le cas d’un centre d’appels » (1).

 

Ainsi, poursuit le chercheur, l’appel à l’implication des travailleurs s’organise avec la mise en place de dispositifs de contrôle de type normatif qui visent à standardiser et à rationaliser le comportement au travail, à partir d’un modèle prédéterminé du « bon conseiller ». En centre d’appels, les « compétences sociales » des salariés deviennent un outil mis à la disposition des responsables pour parvenir à leurs fins. »

« Les centres d’appels représentent ainsi l’évolution peut-être paradigmatique du taylorisme vers une nouvelle organisation de type néo-tayloriste qui requiert une certaine implication de la part des travailleurs », conclut le chercheur. »

 


La deuxième originalité des centres d’appels réside dans l’utilisation de nouveaux moyens technologiques. 

Car la combinaison de la téléphonie et de l’informatique permet l’émergence d’un contrôle qui s’impose de manière diffuse. 

Concrètement, le téléopérateur est suivi dans tous ses gestes et toutes ses réponses par l’ordinateur. Au fur et à mesure de la conversation, dont le script se déroule à l’écran, le téléopérateur coche des cases, classe les refus et les ventes en fonction de différents critères. Ses classements doivent entrer dans les statistiques. Sinon, cela signifie qu’il a fait des erreurs ou qu’il a tenté de botter en touche. 

Voilà pour le suivi quantitatif.


Par ailleurs, les nouveaux moyens technologiques permettent au chef d’équipe, mais également à n’importe quel responsable, d’écouter le téléopérateur durant les conversations téléphoniques, sans prévenir.

 

Ces conversations peuvent également être enregistrées et réécoutées avec le salarié pour identifier ses points forts et ses points faibles. 

C’est ainsi que le système est présenté : les managers sont là pour aider l’opérateur à se conformer à des attentes que tout concourt à présenter comme lui étant extérieures. 

Ce qui rend le contrôle peu tangible et entrave pour les travailleurs les possibilités de s’y opposer.
Ce contrôle présente en effet un côté extrêmement « soft », analyse l’Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), dans une note scientifique et technique. 

Mais il peut se révéler beaucoup plus dur, par exemple quand il s’incarne dans les procédures et les objectifs de performance. 

 

Pour l’INRS, ces nouveaux modes de collaboration entre travailleurs et technologies « permettent, par leur évolution conjointe, l’émergence de formes de travail inédites ».
Les chercheurs qui travaillent sur les centres d’appels soulignent l’existence de deux modèles dominants. 

 

Le premier est basé sur des systèmes technologiques qui peuvent ne pas être très sophistiqués, avec une organisation caractérisée par un faible niveau de confiance envers les salariés (visant des objectifs définis quantitativement, cherchant à minimiser les coûts, pratiquant une surveillance stricte).

 
Le second, plus récent, s’appuie en revanche sur des solutions technologiques sophistiquées, une autonomie importante des équipes et des hommes, un besoin de personnel au niveau de qualification plus élevé (sélection pointue à l’embauche et formation en interne).


Si le premier modèle cherche à s’imposer par un contrôle strict des coûts, le second insiste, lui, sur la qualité et la richesse du service proposé, précise l’INRS. 

D’où découlent deux types de management : par contrôle, ou par délégation de responsabilité. Cela dit, poursuit l’INRS, rares sont les centres d’appels qui se situent pleinement dans l’une ou l’autre de ces catégories.

 

Ils se trouvent plutôt à des niveaux intermédiaires.

Ces choix sont partiellement contraints par le contexte externe, le créneau économique de l’entreprise, mais ils résultent également de sa conception de la relation à la clientèle et le type de service qu’elle souhaite proposer.




24/04/2010
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